Pour combattre efficacement, il importe d'anticiper les tactiques, les techniques et les micromouvements de votre adversaire en l'observant attentivement. Vous devez, également, conscientiser vos mouvements, votre position, votre distance et la stratégie pour contrer ce dernier.
Cet article n'est pas axé sur l'observation des micromouvements afin de détecter le type de technique qui vient vers vous, cela sera un sujet d'un article subséquent. Je veux plutôt aborder un autre phénomène présent en combat et en situation d'autodéfense : l'alternance entre la perception des évènements extérieurs et intérieurs.
Les angles morts
Pour répondre efficacement à une attaque physique ou verbale, restez en conscience externe. Pour analyser les tactiques et stratégies, entrez en conscience interne. Le problème dans cette alternance, c'est l'apparition des « angles morts » perceptuels.
Un angle mort c'est ce que nous ne voyons pas, n'entendons pas et ne ressentons pas, car notre attention est portée ailleurs.
Par exemple, si nous combattons face à face et que vous êtes très attachés à mes actions, tout ce qui se passe derrière vous se transforme en un angle mort perceptuel. Mais il se peut aussi que vous demeuriez inconscient de ce qui se passe en vous, étant trop identifié à votre conscience extérieure.
Le processus d'identification
De même, si vous êtes complètement identifié à vos processus intérieurs vous ne percevrez pas les actions de votre adversaire, ses réactions internes et externes, le mouvement de ses yeux, la position de son corps et de ses mains, etc.
Pour demeurer attentif à tout cela, vous devez activer votre vision (et audition) périphérique et votre centre somatique.
Alors, vous deviendrez conscient de ce qui se passe à 360 degrés. La problématique de l'angle mort perceptuel survient quand vous vous identifiez uniquement à une partie au détriment de l'autre.
Si vous vous identifiez au côté externe (yang) ou au côté interne (yin), vous penchez la balance du même bord ; ce qui créer un point aveugle perceptuel et une perte d'information. Donc quand vous entrez trop à l'intérieur de vous, vous risquez de ne pas percevoir l'autre à l'extérieur. Et lorsque vous devenez trop concentré sur l'adversaire à l'extérieur, vous risquez de ne pas percevoir ce qui se passe à l'intérieur de vous.
Comment résoudre cette problématique ?
J'aime bien raconter l'histoire du petit canard pour exprimer comment nos processus externes et internes doivent coopérer pour maîtriser l'art du combat, de la confrontation et de la tactique autant au niveau physique que psychoverbale.
Beaucoup de maîtres qui ont inventé des styles d'arts martiaux se sont basés sur les formes des animaux (comme je l'ai fait avec l'autodéfense psychoverbale). Cela est arrivé soit à travers un rêve ou lors d'une observation des animaux en train de se battre ou se défendre. Moi aussi j'ai réalisé une découverte en scrutant un canard dans la nature. Cependant, je n'ai pas inventé un style d'art martial basé sur le canard.
L'origine de la forme du canard
Une journée lors d'une promenade, j'observais un canard sur un lac. Il semblait paisible et donnait l'impression de flotter tout simplement sur place comme s'il méditait bien calmement. Puis, j'ai pris conscience que des bouts de feuilles et des morceaux de bois flottaient et dépassaient rapidement le canard qui lui pourtant semblait pratiquement immobile sur l'eau. J'ai réalisé, en observant bien ce canard, qu'il ne faisait pas simplement que flotter sur l'eau paisiblement, mais que ses petites pattes remuaient rapidement pour pouvoir donner un semblant d'immobilité.
J'ai utilisé cette métaphore profusément dans mes méditations et dans mes cours. Le style du petit canard vous apprend à demeurer calmes à l'extérieur et vigilants à l'intérieur ou vigilants à l'extérieur et calmes à l'intérieur.
Quand votre corps demeure immobile, gardez votre esprit vigilant et vice-versa. Un équilibre yin-yang au lieu d'une identification uniquement à une de ces parties.
L'efficacité en combat dépend de cette alternance
Pour rester efficace en combat, le corps doit être détendu (yin) pour pouvoir bouger librement et réagir à la fraction de seconde et l'esprit vigilant (yang) pour rester prêt à trouver l'occasion et à déclencher la riposte rapidement. Lorsque nous frappons, l'explosion d'énergie du corps est yang tandis que l'esprit devient réceptif (yin), ouvert à toute réaction ou réplique.
Nous devons utiliser les deux côtés de la conscience simultanément et non séquentiellement, de la même manière que nous apprenons dans les arts martiaux à exploiter autant notre côté gauche que notre côté droit et cela simultanément.
« Quand votre intérieur tourne au yang, ou action, gardez votre extérieur dans un état de yin, ou immobile. Quand votre intérieur reste yin, gardez votre extérieur yang. Ceci est le cas dans la stratégie. Ceci correspond à la nature des choses. Quand votre action reste sur l'offensive, vous devez garder votre esprit tranquille et ne pas le laisser se synchroniser avec votre extérieur. En gardant votre esprit immobile, vous pouvez beaucoup mieux contrôler vos actions. »
Ces paroles viennent de Yagyu Munenori (1571-1647) qui a décidé de transmettre aux générations futures les théories et techniques de combat qu'il a acquis à travers sa grande expérience sur le terrain. Il a survécu à de grandes batailles. La majeure partie de ses écritures sont des comptes-rendus détaillés sur comment contrôler l'esprit durant le combat et le genre d'entraînement nécessaire pour un tel contrôle de l'esprit. Il cherche à transposer sa théorie du combat à la vie sociale et politique. Un Viel ancêtre de l'autodéfense psychoverbale.
Comme mon petit canard qui donne une apparence de calme sur l'eau durant qu'il agite frénétiquement ses petites en dessous de l'eau, un stratège bien entraîné va sembler très calme de l'extérieur, pendant qu'il garde son intérieur très vif.
Visuel/Kinesthésique (la synesthésie* V-K)
Attention, on ne doit pas retrouver de dialogue intérieur élaboré, c'est du visuel/kinesthésique et l'esprit cognitif doit rester au strict minimum. Naturellement, ce niveau n'est pas réservé au débutant ni à l'intermédiaire.
C'est l'une des raisons d'être de la stratégie d'atteindre un état d'esprit qui peut pleinement contrôler l'alternance de l'offensive et de la défensive, l'action et l'immobilité.
Pour parvenir à cet état d'esprit, on doit aller en plein cœur de cette alternance, dans le centre somatique.
Lorsque nous sommes focalisés, nous échappons à l'identification. Quand nous sommes centrés, tout n'est qu'interaction et interrelation. Une bonne manière d'acquérir cette habileté est de travailler à être présent à ce que vous faites (votre conscience interne) tout en percevant ce qui se passe autour de vous (votre conscience externe). Faites cela pendant que vous marchez sur la rue, lorsque vous travaillez, pendant que vous faites du ménage, bref dans toute activité hors du karaté. Ensuite, transposez cela dans le dojo et vos combats.
Gaëtan Sauvé
Synesthésie: La production d'une impression sensorielle relative à un sens ou à une partie du corps par la stimulation d'un autre sens ou d'une autre partie du corps.
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